2019
La première édition du Séminaire de nouvelle a lieu au centre pénitentiaire de Chetumal. Il est suivi par un total de 15 hommes et femmes. Le séminaire bénéficie du soutien du Programme d'incitation et de co-investissement du FONCA. Le projet aboutit à la publication du livre Flores en la herida : relatos de personas encarceladas[Des fleurs dans la plaie : récits de personnes emprisonnées], une anthologie des textes que les participant·e·s ont écrits durant l'atelier.
2020
Présentation du livre au centre pénitencier de Chetumal, à l'université de Quintana Roo, à Chetumal; dans le restaurant Pasión Turca, à Bacalar; et à Casa Gabriel, à Mexico.
2021
Des démarches sont menées pour financer la deuxième édition du Séminaire de nouvelle. L'équipe s'agrandit : de nouvelles·eaux collaborateur·rice·s et co-investisseur·euse·s la rejoignent, les objectifs du projet sont redéfinis. Nous décidons de réaliser deux éditions du séminaire la même année. S'y ajoutent l'atelier de Lecture théâtralisée et la traduction en français effectuée par l'Alliance française de Xalapa afin de promouvoir la lecture des livres produits par le séminaire. Cette année, notre candidature pour obtenir un financement du Système d'aide à la création et au projet culturel dans sa branche d'incitation et co-investissement a été retenue pour la deuxième fois.
2022
Entre janvier et mai, le Séminaire de nouvelle s'est tenu au centre de prévention et de réadaptation sociale Santiaguito, à Almoloya de Juárez. Il a été suivi par 11 hommes et 11 femmes.
De juin à septembre, le Séminaire de nouvelle a eu lieu au centre pénitentiaire de Chetumal.
Littérature produite au cours de l'atelier
Les textes que nous présentons ici sont un échantillon du travail réalisé en classe. Ce sont des exercices initiaux pour commencer à se familiariser avec l'activité de raconter par écrit. Ces exercices visent à lier la mémoire, les affects et la perception personnelle du quotidien.
Tous les textes sont publiés avec l'autorisation de leurs auteurs et autrices.
Un événement significatif
Consigne :
Raconter un événement récent dans votre vie, que vous estimez significatif.
Exercice de listes façon Ray Bradbury
Consigne :
À partir de la lecture de l'essai Run Fast, Stand Still [Courir vite, et puis ne plus bouger] de Ray Bradbury, faites une liste rapide de substantifs qui hantent votre mémoire. Laissez les mots ou les images vous venir à l'esprit, ne réfléchissez pas trop. Choisissez un mot de votre liste et écrivez quelque chose à son propos.
Récit d'un jour
Consigne :
Racontez ce que vous avez fait un de ces derniers jours
Titre
Une surprise très spéciale
Elle est venue dimanche. Enfin ! Jour de visite. C'était le tour de maman, pouvoir la voir, parler avec elle, recevoir des nouvelles. Elle m'a apporté une surprise très spéciale à laquelle je ne m'attendais pas : un porte-clés tricoté en forme de pieuvre. C'est ma tante, qui est dans une autre prison, qui l'a fait. C'est ce qu'elle fait pour l'instant : tricoter de petits personnages qui sont des porte-clés.
J'étais émue. Ce petit détail significatif me confirme que, bien que nous soyons séparées aux antipodes, bien que je ne la voie pas et que je ne puisse pas parler avec elle, nous sommes toujours en contact d'une façon ou d'une autre et nous gardons un lien spécial. Plus tard, j'ai téléphoné à maman pour savoir si elle était bien arrivée, c'est ma belle-sœur qui a répondu juste au moment où, par bonheur, ma tante était en ligne sur l'autre téléphone. Nous nous sommes brièvement parlé. De façon surprenante, cette journée a été très heureuse.
Maayav Janvier 2022
Titre
Un nouvel adieu
Nous avons été prévenues le vendredi après-midi que, par mesure de sécurité, pour des raisons de santé, nous passions en alerte orange, en raison de quoi il y aurait des restrictions pour les visites. L'ordre était qu'un seul membre de la famille pourrait entrer par détenue et que nous ne pourrions plus manger. Ce week-end-ci serait donc la dernière occasion de voir deux membres de la famille et de manger ensemble.
La majorité d'entre nous ont la chance – ou la malchance – de recevoir de la visite, que ce soit tous les huit jours, toutes les deux semaines ou tous les mois. Certaines d'entre nous ne reçoivent d'ailleurs de visite que plus sporadiquement.
C'est aujourd'hui dimanche, je suis de corvée dans les toilettes des visiteurs. Ce sera peut-être une journée longue et nostalgique. Cependant, malgré la situation, il faut être positive et souhaiter la bienvenue avec un grand sourire.
Les familles commencent à arriver à dix heures du matin. Les camarades, joyeuses, sortent pour recevoir des embrassades, des sourires et des baisers. Un moment plus tard, Don Fer se présente aux toilettes. Il me salue cordialement, se lave les mains et me fait une suggestion (dont je lui suis reconnaissante) : ne pas trop m'approcher des visiteurs, parce que le virus est très fort à l'extérieur. Il me dit textuellement : Ne serre pas de main, ne donne ni bisou ni accolade, approche-toi le moins possible de nous, prends soin de toi et prends soin de tes camarades. Don Fer sort et voici Doña Chuy, qui pique une colère parce que son plat est tombé par terre. Anita entre à son tour ; elle a préparé une surprise pour sa mère. En effet, sa sœur lui a dit qu'elle doit profiter de sa visite parce qu'elle ne pourra plus la voir pendant un bon moment, à cause du virus.
La matinée se passe lentement et très froidement, comme si le climat savait ce qui allait se passer. À 12 h 40, la température baisse et la gardienne criarde annonce la fin des visites. Voici venu le moment des adieux.
Les enfants pleurent parce qu'ils veulent continuer à jouer avec leur maman. Celles-ci pleurent aussi, elles ignorent combien de temps passera avant qu'elles puissent les serrer à nouveau dans leurs bras. On embrasse très fort les mamans et les papas du troisième âge. Ceux-ci, comme les enfants, ne pourront plus venir jusqu'à nouvel ordre.
Étreintes, sanglots, pleurs étouffés : la tristesse et la nostalgie envahissent les lieux. Un nouvel adieu, un temps indéfini dont nous prions pour qu'il passe vite. Nous prierons pour le bien-être de nos familles et pour le nôtre.
Yass Mancilla Janvier 2022
Titre
Bien dormir
Ça fait trois semaines que je dors bien et je dis ça parce que, quand tu es en captivité, il est très difficile d'avoir des conditions permettant de dormir. Tu ne peux pas toujours avoir un environnement adéquat pour le faire ; les ronflements des camarades qui résonnent au milieu de la nuit comme des sons d'outre-tombe ou la flatulence sonore d'un corps au bord de la décomposition et, à certaines occasions, la maudite cascade des dés retombant sur le plateau du jeu de poleana, accompagnée d'une musique à un volume assourdissant : la lutte contre les habitudes distinctes des nôtre est permanente. Je ne veux pas dire par là qu'il y en a de bonnes ou de mauvaises, elles sont simplement différentes.
L'importance de bien dormir, c'est que ça a une influence sur ton état d'esprit et que ça se reflète pratiquement toujours sur ton image, ton travail et tout ton entourage. Je te suggère de toujours chercher la façon de bien dormir.
Mario Navarro Janvier 2022
Titre
10 juin 2021
Pour moi, cette date est très particulière. C'est le jour où maman a cessé de me répondre au téléphone et de me dire : Ma fille, tout va s'arranger, le plus dur est passé, tu seras vite parmi nous.
Comme je le faisais tous les jours, j'ai appelé ma mère pour savoir comment tout le monde allait et surtout, pour qu'elle sache j'allais bien et qu'elle soit tranquille. Si je ne l'appelais pas, elle s'en faisait beaucoup. Ce jour-là, elle ne m'a pas répondu. Ça ne m'a pas surprise, car elle était régulièrement occupée à laver le linge à l'extérieur et elle laissait son mobile à l'intérieur. Je suis redescendue plus tard pour la rappeler. C'est ma sœur qui m'a répondu. Ça m'a paru bizarre, parce que ma sœur Miriam vit à Toluca et ma mère, à Villa del Carbón. Elle m'a dit : Gaby, maman a fait un malaise, elle est à l'hôpital, son état est délicat mais stable. Elle a fait un infarctus mais ça va mieux. Ça m'a un peu rassurée mais en réalité, j'angoissais. Le lendemain j'ai appelé très tôt pour demander comment maman avait passé la nuit. C'est de nouveau ma sœur Miriam qui m'a répondu et elle m'a dit : Grâce à Dieu, elle a passé une bonne nuit, elle va mieux. J'ai raccroché et j'ai repris les activités quotidiennes de ce lieu. Plus tard, je suis allée au cours d'art. En sortant, j'ai retéléphoné. J'ai reçu la pire nouvelle de ma vie. Ma sœur Miriam m'a dit ce que je n'aurais jamais pensé entendre en prison. Ma mère était morte. C'est la pire nouvelle qu'une personne puisse recevoir et plus encore si elle est privée de liberté.
Gaby Medina Janvier 2022
Titre
Secret de prison
Dans la prison de Santiaguito, il y a le dortoir pour homme « X », qui n'est séparé du dortoir des femmes que par une clôture. C'était un lundi pendant la nuit, quelques minutes avant deux heures du matin, pour être précis. La veille, dimanche, une grande partie des détenus de cette énorme prison avait reçu une visite familiale. Les jours de visite, les dimanches, connaissent une activité considérable : les visiteurs arrivent avec de lourds sacs de nourriture, les gardiens passent d'un endroit à l'autre pour maintenir l'ordre, des bouchons se forment dans les sas car les détenus veulent rejoindre le plus vite possible la zone de réunion familiale, on pousse de petits chariots pleins d'artisanat en vente, etc. À la fin de la visite, c'est reparti : les détenus se hâtent de revenir dans leur dortoir avec leurs précieux sacs plein des repas de la semaine, les gardiens contrôlent que les sacs ne contiennent pas d'objets interdits, tandis que ceux qui ne reçoivent pas de visite, appelés ici « enfants des rues », ainsi que les « fumeux » (ceux qui se droguent) se postent dans les couloirs, une boîte à la main, en criant aux visités : Mon chien, mon chien, fais-moi cadeau d'un peso, mon chien. Plus tard, on peut également voir, arpentant les couloirs, les détenus qui se livrent à des extorsions, menaçant et, à l'occasion, frappant ceux qui refusent de payer. L'ambiance devient pénible. De sorte que, à la fin de la journée, quand la nuit tombe, la plupart, épuisés, dorment comme des souches. Les nuits qui suivent les visites sont parmi les plus tranquilles et silencieuses, exception faite du bruit occasionnel, dans les couloirs, à l'extérieur des cellules, des pas d'un gardien réalisant sa ronde de surveillance et faisant son rapport par radio. Le son de la radio est fort dans ces conditions de silence.
Mais, bon, nous disions qu'il ne manquait que quelques minutes pour que deux heures sonnent. Tout à coup, au milieu de la nuit, on a entendu, haut et clair, une plainte effrayante et déchirante « Aaah, mes enfants !... Aaah, mes enfants ! » Les cris ou les plaintes étaient montés entre le dortoir des hommes « X » et le dortoir des femmes. Plusieurs détenus se sont réveillés surpris, sans comprendre ce qui arrivait, certains ont allumé les lumières de leurs cellules et ont commencé à faire des commentaires quelque peu effrayés sur les lamentations de la Pleureuse . L'instant d'après, les gardiens et les gardiennes des deux dortoirs sont accourus en nombre, informant par radio avoir entendu les cris d'une femme, arpentant les couloirs et les moindres recoins, lampe torche à la main, pour essayer de localiser l'autrice de ces plaintes poignantes, mais rien, absolument rien, ils n'ont trouvé personne. Pendant ce temps, les détenus dans leurs cellules éteignaient les lumières, de crainte de devoir se soumettre à des inspections désagréables. Ils sont restés silencieux, ont écouté les va-et-vient des gardiens pendant un bon moment, sans le moindre résultat. Peu après, le calme est revenu. Et tout le monde, de dormir à nouveau.
Quand les activités de la journée ont commencé, on pouvait voir dans le réfectoire et sur les terrains de football des détenus commenter l'étrange événement de la nuit passée. Certains se demandaient si l'une des détenues du dortoir féminin était devenue folle ou s'il s'agissait vraiment des lamentations de l'authentique Pleureuse, entre autres commentaires superstitieux. Personne n'avait d'explication. D'autre part, les surveillants se sont gardés de rien dire ou de réaliser de plus amples investigations, certainement pour éviter de se voir traités d'incompétents ou de farfelus.
Peu, réellement très peu, savaient que ce dimanche, « quelqu'un », heureux de la visite que lui avait rendue sa famille, avait loué une enceinte pour l'après-midi et avait passé son temps à écouter ses mélodies favorites. Il s'était rendu compte que dans le répertoire musical, se trouvait un excellent enregistrement des plaintes de la Pleureuse. Pour plaisanter et effrayer ses compagnons de cellule, il avait eu l'idée de lancer l'enregistrement pendant la nuit. Ce « quelqu'un » n'aurait jamais imaginé le chambardement que son innocente plaisanterie allait provoquer parmi les gardiens et les gardiennes de la prison. S'il avait été découvert, il aurait certainement perdu son équipement musical et toute sa personne aurait passé de très longues et lamentables journées en cellule disciplinaire.
Lynx Janvier 2022
Titre
Papillons
Quand j'étais à l'école primaire, en classe de sciences naturelles, nous devions disséquer certains insectes et autres papillons. On nous a emmenés en excursion dans un bois et j'y ai trouvé un papillon bleu dont les ailes étaient bordées de noir. Ça m'a fait de la peine de devoir lui planter une épingle pour le conserver comme échantillon sur un morceau de polystyrène.
Les autres bestioles que nous avions collectées, nous les avons étourdies dans un récipient contenant de l'alcool et, quelques jours après, nous les avons piquées sur une autre plaque de polystyrène. Celle des papillons était sans nul doute la plus jolie, parce que leurs couleurs, leur taille et, dans une moindre mesure, leur forme étaient toutes différentes. Le plus grand, le bleu et noir, était au centre. Il se démarquait par sa majesté. Les autres étaient comme ses complices, grâce aux couleurs qui faisaient jeu avec les siennes.
Aujourd'hui, je vois avec beaucoup de tristesse que cette liberté s'achève ici, sans vie, dans un silence inhérent, que nous sommes ici dans le grand bois, beaucoup de papillons de différentes tailles, couleurs et formes, épinglés sur ce polystyrène géant qu'est la prison, comme les papillons du cours d'histoire naturelle.
Azucena Janvier 2022
Titre
Le labyrinthe de l'intérieur
Un garçon marchait dans un sombre labyrinthe, fuyant ses poursuivants. Il ne pouvait rien voir au-delà d'une certaine distance, raison pour laquelle il trébuchait sans arrêt sur ce qui jonchait le sol. Il soutenait sa progression en s'appuyant sur les murs froids, lisses, hauts. Il était dans un labyrinthe très vieux, vraiment très vieux. Le garçon ne connaissait pas ses poursuivants. Le cœur battant encore la chamade, il essayait de reprendre son souffle en respirant. Il ne se rappelait pas comment il était arrivé jusque là et ignorait bien entendu comment en sortir. Il se frayait un chemin entre les toits, les corridors, les jardins. Cet endroit était un village, un endroit dans un certain espace que le soleil n'éclairait pas mais qu'enveloppait au contraire une brume, non, pas une brume, une lumière crépusculaire, un demi-jour mourant, harassé, figée dans le temps depuis des temps immémoriaux. Un village en clair-obscur, c'est ce qu'était ce labyrinthe. Un lieu inhabité, envahi de ruines, de malheur et de putréfaction. Oubli et abandon. Voilà ce sur quoi marchait ce garçon. Le terrain desséché était cendre à ses pieds, ses pieds nus. Cette sensation d'une gêne à la plante des pieds... était ce qui caractérisait sa marche. Il chercha dans chaque maison, chaque corridor, chaque avenue et ne put trouver personne. Il se coucha sur le dos, le visage tourné vers ce qui avait jadis été le ciel, et ferma les yeux, dans l'espoir que le repos lui ferait oublier tout ce dont il avait rêvé.
Ik Balam Já, 1987 Janvier 2022
Titre
La fête
Une valse résonne au milieu des ornements et des essayages. C'est une belle journée, chaude, avec un peu de vent, qui, loin de gêner, donne une certaine fraîcheur aux préparatifs.
La tendre Saraí profite de chaque moment de la répétition de sa fête. Son jeune garçon d'honneur, Eitan, semble un peu distrait. Je peux deviner sa pensée : il croit qu'il est plus important de jouer avec les ballons et de ne pas perdre sa mère de vue, que d'apprendre les pas d'une danse sur un air dont il ne comprend pas les paroles.
Je trouve l'ensemble quasiment comique. D'un côté, on voit l'amour d'une mère et d'une grand-mère, désireuses de célébrer un anniversaire. De l'autre, la réalité dans laquelle nous nous trouvons : derrière la grande affiche annonçant les trois ans de Saraí sur le thème de Cendrillon, des barreaux, des miradors et un grand mur gris séparent deux mondes : celui de la liberté tellement désirée et celui-ci, le pays des oubliés. Ici, l'odeur du savon et de l'adoucissant de tous les vêtements qui pendent face au dortoir, à côté de la grande salle des fêtes, ne dure pas. Peu à peu, la répétition prend fin et la paillote se vide. Les ornements censés donner plus de vie à cette atmosphère restent à l'abandon et les lieux prennent une apparence fantomatique.
Lunita Janvier 2022
Titre
Mains
Pendant que j'attends, seule, assise dans la salle, me parviennent certaines conversations de filles qui passent en marchant ; elles essaient de se réchauffer un peu, il fait froid et très venteux. Je me poste à la fenêtre et j'observe plusieurs dames qui s'activent au lavoir, certaines pour la vaisselle, d'autres pour une lessive. L'une d'elle retient mon attention. Je l'ai souvent vue auparavant. Je suis étonnée de la voir passer toute la journée au lavoir, emportant un bassin plein de vaisselle, revenant avec un autre, et ainsi de suite toute la journée. Elle est indifférente au froid, à la chaleur, au vent et même à la pluie. Elle a obtenu qu'une détenue lui apporte un imperméable. Elle travaille de sept heures du matin à six heures du soir. Le besoin d'argent la force à sortir travailler chaque matin pour toucher quelques pesos le dimanche. Elle ne reçoit ni visite ni aide financière, de sorte qu'elle couvre ses dépenses ici de cette façon. Ce qui est vraiment surprenant, ce sont ses mains... elles sont gonflées, rouges et terriblement usées par l'utilisation du savon et du chlore, mais elle ne semble pas s'en soucier. Parfois, je l'entends causer avec les autres filles des autres lavoirs, elles écoutent de la musique, rient, chantent et tout à coup, je remarque son regard absent, nostalgique…
Elizabeth Chew
Titre
Ce n'était pas une journée comme les autres, c'était une journée sans médicament
7 h 10 - La journée commence, je m'assieds, je replie mes couvertures, j'arrange mes oreillers, etc. Je descends me laver les dents, le visage. La pensée m'effleure que je voudrais continuer à dormir, mais après cette heure-là, c'est impossible. J'enfile des vêtements confortables, deux manteaux et des baskets, je descends pour faire mes exercices quotidiens. Avant ça, je passe au réfectoire chercher mon thé, aujourd'hui au citron, et trop sucré, comme toujours. Posé à terre, mon thé tient compagnie au gazon. Aujourd'hui, je n'ai pas voulu faire la lessive tôt, je marche, je fais des étirements, de l'échauffement pour commencer à courir, un, deux, trois, quatre tours lorsque Sonia jette une couverture à terre et commence à récriminer... stress... Ma sœur Bere s'approche et me donne un tiers de sa cigarette, en disant : Arrête de te disputer. En fin de compte, je n'ai pas fait d'exercice, nous parlons de tout et de rien juste pour rire, ça commence à se peupler et nous voilà à discuter du mauvais service de cet hôtel hors de prix.
8 h 30 - Estrella arrive avec un sac, de linge sale je suppose. Elle me dit : On fait la lessive aujourd'hui ? Je fais oui de la tête et je monte chercher mes vêtements et mon savon.
8 h 45 - C'est l'heure de la relève. Nous devons monter, ça fait partie du règlement, c'est bon, mission accomplie, c'est l'heure à laquelle nous avons de nouveau de l'eau, frotter, savonner, rincer, nous sommes rapides, pendre le linge et c'est fini.
10 h 00 - Nous avons fini et nous allons prendre un délicieux bain de vitamine E, le temps passe vite quand tu parles avec quelqu'un d'informé et d'amusant.
11 h 30 - Je monte me doucher. Combien de temps je mets ? Quarante minutes ? Peut-être. J'ai fini et je passe les vingt minutes suivantes à réfléchir à ce que je vais me mettre. Du beige avec du beige, du beige avec du bleu, du bleu avec du bleu, du bleu avec du beige, la même merde pénitentiaire. Je me lave les dents, je ne me brosse pas les cheveux, ça ne me plaît pas. Tout est en ordre, je descends pendre mon peignoir de bain, je suis anxieuse, il n'y a pas de marijuana et c'est la seule chose qui me tranquillise, c'est mon médicament. Je lis pour passer le temps.
13 h 30 - Je n'ai pas faim, mais peut-être qu'Estrella, si ; nous allons au réfectoire. L'eau de fruits, 100 % colorant. Je suis contente que les haricots noirs soient cuits, pas salés, car ils seront ma source de nutriments. Je n'ai pas confiance dans leur laitue mal désinfectée et l'unique croquette de pommes de terre qu'ils nous donnent ne calmera pas ma faim. C'est fait. Boire de l'eau, rentrer les vêtements secs, etc.
14 h 45 - L'antenne médicale arrive, je continue à lire tandis que mon amie consulte son docteur. Il fait froid hors du bâtiment mais c'est cent fois plus tranquille, je continue à attendre, on nous appelle pour travailler à l'atelier de caoutchouc mousse.
15 h 00 - Je continue à lire. Dans la cour, évidemment.
17 h 00 - Heure du dîner, de nouveau le thé trop sucré et du pain grillé. Nous retournons une fois de plus dans la cour et ma sœur Lizzi me demande : Tu veux aller aux AA ? Je réponds sottement : Tu veux y aller, toi ? Nous y allons toutes les deux, en fait ça m'ennuie et ça me décourage, je suis anxieuse et un peu stressée, la session prend fin.
18 h 00 - Nous sortons à la recherche de la chaleur du soleil, nous causons comme toujours jusqu'à ce que le froid commence à me gercer le visage.
18 h 45 - L'appel des présences débute, je réponds lorsque j'entends mon nom, je mets mon pyjama et ça y est : douze heures cadenassée, jusqu'au lendemain à sept heures du matin.
Baffy Janvier 2022
Titre
Une journée quelconque à Santiaguito
J'ouvre les yeux, je me réveille de mauvaise humeur. Je rends grâce à Dieu de cette nouvelle journée à vivre, des bénédictions que je recevrai aujourd'hui. Je me retourne pour voir les couchettes de mes camarades de cellule et je me réjouis parce qu'elles vont toutes bien. J'avais prévu de me lever tard mais, oh surprise, le volume de la musique qu'écoute une détenue du deuxième étage est trop fort. Je me prépare à commencer ma journée. Je sors dans le couloir faire chauffer de l'eau pour ma toilette. Certaines camarades me saluent, chacune à ses affaires, vente de sandwiches, de tortillas frites, de tacos, d'eaux de fruit. Je m'assieds en attendant l'eau et je contemple le panorama, ce qui me fait remonter le temps. Je me sens nostalgique, je me rappelle quand j'allais prendre le petit-déjeuner avec mon fils (paix à son âme) et avec mon ex-mari, jouissant de cette liberté que je n'ai plus aujourd'hui, quand l'odeur de garnacha, la fumée d'huile brûlée et la musique m'arrachent à mes pensées. Je fais ma toilette, je me prépare et, comme je dois travailler à la bibliothèque, je prends mon petit-déjeuner et je laisse tout en ordre pour préparer le déjeuner.
Je me sens déjà mieux. Entre les conversations, les prêts de livres et les problèmes que certaines prennent un moment à confier, j'oublie peu à peu la cause de ma mauvaise humeur. Parfois, les rires et la musique – ils ne manquent jamais à Santiaguito – me gagnent et me font sourire. Je me rends compte que tout coule de source si je change d'attitude et que je recherche ce qui me convient le mieux.
Je me souviens que je dois téléphoner à mon frère Joel, parce que nous sommes déjà le 20 janvier et que je n'ai pas pu lui souhaiter bon anniversaire. Je l'appelle et il me dit :
— Tu as du crédit et le temps de m'écouter ? Je veux te raconter quelque chose de merveilleux qui nous est arrivé, à papa, maman et moi.
Je lui dis que oui. J'ai le temps. Je commence à sentir une délicieuse onde de chaleur parcourir tout mon corps. Mon estomac se serre. J'ai la gorge sèche. J'écoute mon frère :
— Figure-toi que papa m'a appelé pour qu'on l'emmène chez le coiffeur. En sortant, nous avons rencontré ton petit-fils. Ça nous a fait plaisir, ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas vu, et encore moins à cause de la pandémie. Nous l'avons invité à la maison et nous avons parlé avec lui. Maman était heureuse et papa s'en est souvenu. Ça m'a rendu très heureux.
Je dis à mon frère :
— Ce que tu me racontes me fait plaisir, c'est bon de savoir que vous vous voyez, mon petit-fils et vous ; moi je ne le connais pas et je ne peux pas jouir de sa présence. Je suis heureuse que vous puissiez profiter de ces moments, merci de me l'avoir raconté.
Je prends congé, parce que je dois revenir à la bibliothèque et terminer mon travail de la journée. Je marche en souriant, je me rends compte que ma mauvaise humeur m'a quittée, qu'elle a disparu, qu'elle s'est totalement évaporée. Je me sens en paix et tranquille.
Le soir venu, je suis reconnaissante de tout ce que j'ai vécu aujourd'hui, et ainsi s'achève une journée comme les autres à Santiaguito
Silvia López Herrera Janvier 2022
Titre
Mon autre moi
Par une froide matinée, je me lève à l'heure des loquets qui claquent. Je suis fâché, encore que sans motif. Je commence ma besogne. Tandis que je sors les seaux d'eau, que je m'occupe, ce malaise commence à s'estomper. Je me demande : Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as quelque chose, Miguelito ? Je réponds : C'est mon autre moi qui est en rogne parce qu'il aimerait dormir plus, toute la journée si possible. La vérité, c'est que j'entends toujours une petite voix qui me dit ce que je dois faire. Malheureusement, en prison, on vit des situations qui sont parfois difficiles à résoudre, mais le meilleur ami que tu puisses avoir est ton « moi intérieur ». personne d'autre ne te connaît aussi bien que lui.
Miguelito : Ne te mets plus en colère.
Soi intérieur : je ne suis pas en colère, je veux juste me reposer.
Miguelito : Mais tu me frappes quand je suis en colère.
Intime : Ce sont tous tes mensonges.
Miguelito : Des mensonges ? Ne réalisez-vous pas que vous me polluez avec votre attitude négative et paresseuse ?
Soi intérieur : ce n'est pas ce que tu penses. Je veux simplement détendre le corps que nous partageons pour pouvoir me reposer davantage.
Miguelito : Plus ? Je m'endors à 22 heures et me lève à 7 heures du matin. Que veux-tu de plus ?
Soi intérieur : Eh bien, c'est sans compter le reste de la journée que vous pouvez passer à dormir.
Miguelito : Tu ne sais pas que je n'ai pas de cabine ? Je reste sur la route (plate).
Moi à l'intérieur : Ah bon, je ne le savais pas, mais c'est gentil de me le dire. Cependant, je persiste à dire que vous devriez vous reposer davantage.
Miguelito : Ça ne sert à rien. En ce moment, je ne peux pas me reposer comme vous le dites et je dois l'accepter. En outre, ce n'est pas si fastidieux, je me lève tôt, je fais mes corvées, je remplis mes bouteilles d'eau, je lave mes vêtements et je profite au maximum de mon temps.
Moi intérieurement : C'est bon, Miguelito. Je n'insisterai pas davantage et j'essaierai de ne pas me mettre en colère pour ne pas vous le transmettre. Je le ferai vraiment.
Miguelito : Je t'en serai très reconnaissant, mon ami. Je ne pouvais pas en attendre moins de toi, nous sommes parfaits l'un pour l'autre.